Un bon « développement de biomasse » comme gage de « réussite »
Les plantes d’interculture vont produire de la biomasse entre deux cultures principales à partir de l’énergie lumineuse, du dioxyde de carbone de l’atmosphère, ainsi que de l’eau et des nutriments du sol. Les services agro-environnementaux rendus seront généralement corrélés au niveau de biomasse aérienne produite :
- piégeage et restitution de nitrates (ou plus généralement de nutriments) pour la culture suivante,
- fourniture d’humus et maintien du taux de matière organique,
- stimulation de la vie du sol,
- étouffement des adventices,
- structuration du sol grâce au développement racinaire,
- protection du sol contre la battance et l’érosion,
- biodiversité,
- fourrage d’appoint…
L’atteinte d’un « bon » développement de biomasse (au moins 2 à 3 tonnes de matière sèche par hectare) est souvent considéré comme un gage de « réussite », car cela sous-entend que les coûts et le temps investis seront valorisés pour la fertilité des sols et pour l’environnement. Ce rendement dépendra naturellement de la composition du couvert, du sol, des conditions climatiques et de l’itinéraire technique mis en œuvre.
Piéger et restituer les nitrates
Chaque tonne de matière sèche produite capte dans le sol 25 à 30 kilos d’azote : un couvert moyen de 2 t MS/ha soustrait donc environ 60 uN au lessivage hivernal.
À partir de la mi-novembre, la croissance des couverts est fortement ralentie, et les couverts peuvent le plus souvent être détruits sans risques pour la qualité des eaux (éviter leur lignification qui peut conduire à des faims d’azote en cas de destruction tardive). Si vos parcelles se situent dans une aire d’alimentation de captage (AAC) ou en zone vulnérable, l’implantation d’un couvert doit viser à capter un maximum d’azote (espèces à croissance rapide, semis précoce, limiter les légumineuses…), notamment après des précédents « riches » comme les pois de conserve.
Économiser des engrais azotés
Si les couverts sans légumineuses sont généralement neutres à court terme sur le plan de la fertilisation azotée (de modestes économies après un hiver très pluvieux, et à l’inverse des apports majorés après un hiver sec), les légumineuses seules ou en mélange peuvent apporter une réelle plus-value à condition qu’elles soient bien développées (économie de l’ordre de 30 uN en mélange et de 50 uN en pur), et que leur contribution soit bien prise en compte (reliquat sortie hiver et estimation de biomasse avec la méthode MERCI par exemple).
Réaliser un semis de qualité le plus tôt possible (trèfles d’Alexandrie, de Perse ou incarnat avant le 5-10 août, vesces commune ou pourpre avant le 10-15 août, féverole ou pois avant le 20-25 août), en évitant les plantes compagnes trop compétitives (moutarde blanche, phacélie… à proscrire ou à utiliser à dose réduite, au profit de plantes comme l’avoine, le radis, la moutarde d’Abyssinie…).
Recycler les nutriments P et K
Les couverts contiennent environ 8 kg P2O5 et 30 kg K2O par tonne de matière sèche ; ces éléments sont soustraits principalement dans l’horizon 0-30 cm enrichi par les engrais, puis restitués en surface avec une efficacité proche de celle d’un engrais sur la culture suivante (soit au maximum 20% pour le phosphore et 30% pour la potasse).
Pas ou peu lessivables, leur prélèvement doit davantage être considéré comme un « recyclage » que comme un gain ou une entrée dans le système sol (les essais de longue durée n’ont pas mis en évidence de différences de teneurs P / K entre sols nus et sols couverts après 15 ans de différenciation) ; des plus-values sont toutefois possibles dans des contextes très particuliers, comme les sols calcaires qui rétrogradent le phosphore, et les sols sableux filtrants à faible CEC pour la potasse.
Protéger les sols et infiltrer les eaux de pluie
Les couverts assurent une protection efficace des sols contre la battance, le ruissellement et l’érosion grâce à l’effet d’écran du feuillage puis des résidus laissés en surface (lesquels stimulent la production de colles microbiennes qui vont protéger le sol de l’impact des gouttes de pluie). Leurs racines agissent qui plus est comme une armature pour stabiliser les sols fragiles (sans toutefois parvenir à régénérer des compactions sévères) et drainer les eaux pluviales vers les horizons profonds.
Pour lutter contre le ruissellement et l’érosion, c’est davantage la durée de présence du couvert (ou de ses résidus laissés en surface) que sa biomasse qui importe ; une destruction tardive en non-labour (1 à 2 mois avant la culture suivante) peut permettre en théorie une protection maximale des sols, en faisant notamment coïncider les productions de colles microbiennes avec les phases de risque pour la levée des plantes sarclées (attention cependant aux risques de conserver des couverts vivants après l’hiver : lignification et faim d’azote, mauvaise dégradation des résidus, assèchement du sol). Dans un objectif de structuration du sol, petit avantage aux graminées de type avoine ou seigle, et diversifier les systèmes racinaires (fasciculé/pivotant, profond/superficiel) en garantissant une bonne densité de pieds au m².
Restituer de l’humus
Le carbone capté par les couverts a un bon rendement en humus (environ 28%, supérieur à celui d’une paille) : un couvert moyen de 2 t MS/ha équivaut ainsi à une paille enfouie ; cette contribution peut concourir à équilibrer les bilans humiques, à condition de restituer un maximum de volume de matière sèche.
Contrairement aux idées reçues, mieux vaut éviter la lignification des couverts en les détruisant « jeunes » (lorsqu’une grosse partie de leur croissance automnale est achevée, mais que les C/N restent faibles, facteur favorable au taux d’humification) ; exploiter les créneaux après pois pour produire de grosses biomasses. Les dérobées ou cultures à vocation énergétiques perdent quant à elles mathématiquement une partie de leur effet humus lors de leur exportation, mais restent généralement équivalentes à des couverts moyennement développés et enfouis grâce à leur forte biomasse, à leur volume racinaire et aux bas de tiges non récoltables.
Booster la vie du sol
Chaque restitution de résidus organiques nourrit les « décomposeurs » du sol (bactéries, champignons, vers de terre, collemboles…) de façon plus ou moins importante selon sa composition biochimique et son volume, et par réaction toute la chaîne alimentaire (nématodes microbivores utiles, prédateurs…). Les couverts permettent également de réguler les changements de température et de maintenir l’humidité du sol pour conserver des conditions favorables à leur activité biologique.
Les implantations répétées de cultures intermédiaires augmentent de façon durable la biomasse microbienne (environ +20% dans un essai pluriannuel Arvalis – Institut du Végétal à Boigneville), et ce toute l’année donc même en absence de couvert sur la parcelle ; on ne sait cependant pas encore s’il y a des espèces à privilégier ni surtout chiffrer ce service en termes de fertilité du sol : l’essentiel semble avant tout de produire un maximum de biomasse en évitant son enfouissement profond par paquets (hacher, mulcher préalablement…).
Étouffer les adventices
Les témoins en sol nu dans les essais au champ illustrent très souvent le rôle concurrentiel des couverts sur les levées et les développements d’adventices.
L’atteinte d’une biomasse critique d’au moins 2 à 3 tonnes de matière sèche par hectare et le recours à des plantes étouffantes au port en « parapluie » (moutardes, phacélie…), sont à rechercher pour assurer ce service. Certaines espèces de couverts (sarrasin, avoine…) peuvent également émettre des substances inhibant la germination et la croissance de certaines adventices, on parle alors d’allélopathie.
Contrôler le parasitisme du sol
Les couverts peuvent avoir une influence positive ou négative sur les maladies et ravageurs des cultures ; si l’alternance des familles de plantes reste un bon garde-fou pour limiter les risques parasitaires, il n’existe pas de plante miracle permettant de se prémunir d’un ravageur donné (les expérimentations au champ avec les moutardes brunes, riches en glucosinolates, n’ont par exemple pas réduit davantage les risques de gale en pomme de terre).
Signalons l’intérêt des crucifères pour lutter contre les nématodes de la betterave (variétés anti-nématodes obligatoires) ou pour casser le cycle du piétin sur les successions plus à risque. Selon la rotation, attention aux risques de sclerotinia (hébergé par les crucifères, les légumineuses et le niger : ces espèces sont à éviter ou à utiliser à faible dose, et surtout à détruire tôt) ou d’aphanomyces (le pois, la lentille, la gesse et certaines variétés de vesces le multiplient). Éviter d’enfouir directement des crucifères vivantes avant un maïs. Perturber les limaces par le travail du sol.
Faire une plus-value sur la culture suivante
Si un couvert bien géré (notamment en termes de destruction) s’avère en moyenne neutre sur le rendement de la culture de printemps suivante (betterave, maïs, lin, chicorée, pomme de terre…), des déplafonnements sont possibles. Ils ont généralement été obtenus grâce à l’effet azote des légumineuses : des gains de 40 q en maïs grain, 10 t en pommes de terre biologiques ou encore de 9 q en blé ont pu être mesurés dans certaines expérimentations en situations non fertilisées.
Ces gains ne sont bien sûr pas systématiques, et surtout tributaires du développement des légumineuses qui reste aléatoire (semis de qualité après céréales le plus tôt possible avec des mélanges à forte proportion de légumineuses, ou trèfle blanc associé au colza bénéficiant au blé suivant semé en direct), avec des surcoûts d’implantation pas toujours rentabilisés (échecs fréquents des semis de trèfles sous couvert dans le maïs ou le blé)
Favoriser la biodiversité ordinaire
Les couverts peuvent offrir un habitat et une source de nourriture pour les insectes pollinisateurs ou auxiliaires, et pour l’avifaune des milieux agricoles (alouette, faisan, perdrix…). Les pollinisateurs seront notamment attirés par des plantes fleuries riches en pollen ou en nectar.
D’où l’intérêt de semer les couverts le plus tôt possible avec des mélanges à base de plantes fleurissant assez rapidement (moutarde blanche, phacélie, radis, tournesol, trèfles de Perse et d’Alexandrie, féverole…). Pourquoi pas sur de simples bandes dispersées dans la plaine (une simple « ligne » de phacélie qui a survécu à l’hiver en bordure de parcelle peut devenir un véritable havre de biodiversité le printemps suivant lorsqu’elle fleurit) ; attention également aux interventions de destruction mécanique pour la faune sauvage.
Fournir un fourrage d’appoint ou une culture énergétique
Les cultures intermédiaires peuvent aussi être valorisées économiquement par la récolte d’une culture dérobée fourragère ou énergétique (produire une seconde récolte, dont les coûts de gestion doivent être rentabilisés par un volume d’au moins 4 à 5 t MS/ha, avec néanmoins des risques potentiels sur la productivité de la culture suivante).
En termes de fertilité des sols, si le couvert piège des nitrates et protège les sols de l’érosion tant qu’il est en place, son exportation doit être bien appréhendée car elle peut engendrer de la compaction et du ruissellement, et qu’elle constitue une sortie de carbone et d’éléments nutritifs.
Les plantes d’interculture rendent donc de multiples services agro-environnementaux généralement corrélés à leur biomasse. Il semble dès lors important de bien les réfléchir et de leur assurer le meilleur développement possible, en gardant à l’esprit que ce dernier restera toujours conditionné par les conditions du milieu (eau, azote, lumière, température…). A chacun d’établir sa stratégie en fonction de ses attentes et de ses contraintes, en cherchant à allier protection des sols et de la ressource en eau, efficacité, rapidité et maîtrise du ratio bénéfices/coûts.